• L'école antan lontan

     Petit recueil de photos, 
    de cartes postales anciennes, 
    de témoignages et de textes

    sur


    L'école antan lontan
    en Martinique

    La sortie de l'Ecole Communale - Fort-de-France
    (Carte postale extraite du beau livre 
    d'André Lucrèce : "Martinique d'Antan 
    La Martinique au début du siècle"  HC-Editions) 

     

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    Extraits du beau livre de
    Marie-Andrée BLAMEBLE

    "La Martinique de mes parents
    Souvenirs d'enfance"

    Editions L'harmattan - 2004


    ***


    La préparation de la rentrée scolaire

     

    « La rentrée scolaire, raconte ma mère, se préparait physiquement et ce, dès la mi-septembre (1) , en commençant par un lavage interne, une purge. C'était notre mère qui  décidait du jour de la purgation. En effet, il était impératif de « nettoyer notre sang» après toutes les variétés de fruits que nous avions mangés, cueillis à même l'arbre, durant les grandes vacances. Cette épuration nous était nécessaire car nous étions tous, plus ou moins, infestés par des parasites intestinaux. J'ai le souvenir de ma sœur aînée qui fut frappée par une terrible crise de vers, à l'âge de dix ans. Nous avions bien cru sa dernière heure arrivée: elle vomit près d'une bassine de vers et resta alitée plusieurs jours. Les vers intestinaux, les ascaris et autres parasites, étaient le mal de l'époque qui touchait de nombreux enfants. 

    Durant les deux ou trois jours qui précédaient le jour choisi pour la fameuse purge, Maman nous obligeait à boire des tisanes rafraîchissantes composées de feuilles de pourpier, d'herbes amères, d'herbes couresses, de chiendent, de feuilles de fromager, de racines de camomille. Ces tisanes remplaçaient l'eau et étaient bues à longueur de journée afin de préparer le corps à recevoir la, ô combien désagréable, purge.

    Ma mère, mais spécialement ma grand-mère, connaissait les vertus des nombreuses variétés de plantes qui poussaient dans le jardin et les alentours. Au moindre mal, elle savait quelles étaient les plantes qui apporteraient un soulagement. Elle savait que les feuilles de corossolier en tisane combattaient l'insomnie, qu'une infusion de « sémèncontra » additionnée de trois gouttes d' « assa foetida » était très efficace lors des maux de ventre dus aux parasites intestinaux, que les tisanes à base de feuilles de chiendent «rafraîchissaient» les intestins avant une purge, que les tisanes de bourgeons de feuilles de goyavier enrayaient les diarrhées et que celles à base de feuilles de « paroka » pouvaient apaiser une toux ou faire baisser une tension élevée.

    Le jour fatidique, elle nous faisait ingurgiter, au petit matin, un laxatif acheté à la pharmacie ou un « lok », concocté par ma grand-mère, composé d'huile de ricin (2) mélangée aux jus d'herbes pilées. Ce dernier avait un goût épouvantable et je l'avalais en fermant les yeux et en me pinçant les narines.

    Ce jour-là, je n'avais pas le droit de manger le gros plat de légumes. Je devais me contenter de bouillon ou d'une soupe maigre que je buvais à petites gorgées, plusieurs fois dans la journée. Je me sentais faible, « jlôcô »(3), vidée. C'était une journée de repos où je n'effectuais aucune corvée. Ma mère nous administrait la purge à tour de rôle pour ne pas trop perturber le travail quotidien. C'était chacun son tour : moi aujourd'hui, demain un frère, après-demain une sœur et ainsi de suite. Filles comme garçons, les uns après les autres, nous y passions tous.

    La veille de la rentrée des classes, nous prenions un bon bain soit à la rivière ou dans une grande terrine, sous le regard vigilant de notre mère. Elle nous frottait énergiquement le corps, nous lavait soigneusement les cheveux. Un décrassage total ! Elle savait préparer des bains avec différents feuillages qui, une fois écrasés dans l'eau tiédie par les rayons du soleil, procuraient une belle peau, saine et douce.

    Une fois nos corps propres à l'intérieur et à l'extérieur, nous étions parés pour la nouvelle année scolaire! »


    1. 1. La rentrée des classes avait lieu au début du mois d'octobre.
      2. Huie de carapate raffinée.
      3. Flagolante.


    ***


    De nombreux documents sur le site 
    "Antan lontan"

    Par exemple ces 
    "Témoignages et souvenirs de nos aînés"


     





    À l'école maternelle...

    « L'école était douce. Il y allait en courant, Man Salinière la transformait en fête. C'était une autre manière de Man Ninotte, aussi douce, aussi prodigue en disponible tendresse. Sa sévérité n'était pas une menace mais une tutelle compacte. Sa colère n'était qu'un mouvement de sourcil. Et elle ne punissait que par l'indifférence. Le négrillon avait désormais deux manmans, ou, plutôt, de Man Ninotte à Man Salinière il glissait sans angoisse. Elle semblait, en fait, à l'école des petites-personnes. Il avait l'impression que c'est lui qui lui apprenait des choses, il pouvait l'émerveiller en lui traçant une lettre, en lui miaulant le Do Ré Mi Fa Sol, en lui dessinant une sorcière, un sapin, un pommier, un flocon de neige, en lui trouvant une couleur dans le mélange de deux autres couleurs. Elle était emballée de le voir découper avec des ciseaux, coller des images, colorier, effacer. Tous ces actes étaient beaux, forts, vaillants. L'ennui c'est que ceux des autres enfants (de sombres attardés que le négrillon trouvait le plus souvent impioks) étaient tout aussi beaux, forts, vaillants. Quand il avait le sentiment de commettre une bêtise, Man Salinière ne le voyait jamais, ne l'entendait jamais : dans son monde, les bêtises ne rapportaient rien. Il les réserva donc en grande partie pour sa maison où ça fleurissait bien."

    Patrick Chamoiseau
    Une Enfance créole -  II  "Chemin-d’école"  
    (pages 41-42 en collection de poche)


    - Quelques précisions. Dans ce petit texte, « les petites-personnes » ce sont les enfants, Man Ninoitte est la mère du négrillon (Patrick Chamoiseau lui-même donc) et Man Salinière est la maîtresse d’école.

    - « impioks » : infirmes, handicapés …


     

    À l'école élémentaire ...

    « La salle de classe se trouvait au rez-de-chaussée de l’école Perrinon. Elle s’ouvrait sur la cour de promenade d’un côté, et de l’autre, à travers des persiennes entrouvertes, sur la cour de promenade des petites-personnes-filles. La classe était immense. Le tableau démesuré. L'ensemble était effrayant, sonore, plus dépouillé, plus anonyme. On était loin de la quiète atmosphère de chez Man Salinière. Là, rien ni personne ne faisait manman. Coeur dégringolé, le négrillon, pas fol, évita les premiers bancs et se réfugia au fondoc de la classe. S'adosser au mur le protégeait d'un côté et lui permettait de disposer d'une vue large de l'inquiétante situation. Sourcils amarrés, joues aspirées et langue âcre : il se sentait barré à l'arrière-fond d'une nasse.

    Les autres petites-gens n'étaient pas mieux loties. Il percevait leur inquiétude suintante. Le troupeau s'entredévisageait et dévisageait le Maître à l'oblique en tâchant d'éviter son regard. Il allait-venait autour de son bureau avec un registre d'appel. Il sortait vérifier on ne sait quoi, revenait, signait des feuilles, ressortait sans s'occuper de ses captifs rigidifiés. La grande bâtisse résonnait de la montée des Grands vers les étages où se trouvaient leurs salles. On entendait traîner des chaises, grincer des fenêtres. On entendait des ordres, des appels, des objets renversés. Tout semblait s’éveiller d’une léthargie. On apercevait encore quelques manmans dans la cour en conversation avec Monsieur le Directeur que chacun apprendrait bientôt à redouter. Puis le tumulte s’éteignit. La grille de l’entrée résonna lugubre sous la main du gardien. Un calme se mit à peser. Le Maître qui en avait terminé de ses vérifications se planta devant eux, et leur dit d'un ton raide :  Permettez-moi sans plus attendrre, nonobstant les aléas du moment, de vous souhaiter bien le bonjourr, messieurs...
    On se sentit mal. »

    Patrick Chamoiseau 
    Une Enfance créole -  II  "Chemin-d’école"   

    (pages 50-51 en collection de poche)

    (Textes proposés par Edgar)



    Extraits de "La Rue Cases-Nègres" de Joseph Zobel
    Présence Africaine - (paru en 1950) Edition de 1974



    Au début des années 1930, chez les ouvriers agricoles de la Martinique, ce célèbre roman de Joseph Zobel retrace le quotidien d'un enfant noir, José, que sa grand-mère, m’manTine, pousse à aller l’école et que son instituteur aide à accéder au lycée … 

    M’man Tine et son ami M.Médouze, le sage du village,
    expliquent pourquoi il faut aller à l’école …

       « Enfin, elle m'apporta un morceau de boudin chaud  et une tranche de pain. J'avais grand-faim, et c'était bon. Elle ne mangea rien quoique, selon son habitude, n'ayant bu qu'une tasse de café depuis le matin.
       Pendant que je déjeunais ainsi, elle partit encore et après un long moment, revint, portant sous son bras un paquet pareil à' un gros morceau de pain enveloppé dans du papier. Et elle me jeta brusquement :
       - Tu auras fini de ramasser de mauvaises mœurs sur la. plantation. Tu iras à l'école apprendre un brin d'éducation et à signer ton nom. Car Dieu a permis que je n'aie pas porté dans la caisse de « la maison » les quat' sous que ta maman a envoyés : je t'ai acheté un petit costume.
       C'était un après-midi clair et doux. »

     […]

       M'man Tine, chaque soir, parlait d'école et de cette affaire de costume que Mam'zelle Léonie ne se pressait pas de finir. Cela ne m'inspirait aucune émotion, aucun rêve. Je ne lui avais même pas posé de questions à ce sujet.
      J'en avais fait part à M. Médouze qui m'avait  expliqué que l'école, c'était un endroit où l'on envoyait des enfants intelligents. (Qu'était-ce qu'un enfant intelligent?) En tout cas, pour aller à l'école, il fallait être complètement et proprement habillé, et on y parlait français. Ces derniers détails m'avaient agréablement impressionné. Mais ce fut tout.

    […] 

    Le premier jour …

     

       Il me fut assez facile pourtant de me consoler de la disparition de mon vieil ami Médouze. Le grand événement qu'annonçait tous les jours m'man Tine se produisit enfin. Mam'zelle Léonie avait fait mon costume, et un lundi, au lieu de m'emmener à la rivière comme d'habitude, m'man Tine mit sa belle robe, m'habilla de neuf (une culotte et une blouse de calicot gris à petites rayures noires, et un petitchapeau de latanier, acheté la veille à Saint-Esprit) et nous partîmes pour Petit-Bourg. 
       M'man Tine allait souvent à Petit-Bourg, même lesoir après son travail; car elle évitait autant que possible d'acheter à « la maison ». Mais bien que ce bourg fût le plus proche de Petit-Morne, je ne l'avais jamais vu que de loin.
       C'était une ruelle bordée de maisonnettes en bois, jalonnée de bornes-fontaines, et je prenais plaisir àvoir couler l'eau claire dont le jet se brisait sur de larges dalles usées.ue la place de l'église était aussi la cour de l'école. Une maison basse, couverte en tôle ondulée et  bordée par une véranda. Tous les enfants jouaient dans la cour, sous le porche de l'église. Ils galopaient en tous sens et criaient joyeusement à me donner l'envie d'entrer aussitôt dans leurs jeux, quoique je fusse assez intimidé. Beaucoup d'entre eux portaient des souliers; mais la plupart couraient nu-pieds comme moi. Et tous, ils étaient très propres, tel que me l'avait dit M. Médouze.
       Traversant ce fourmillement criard, m 'man Tine alla trouver une dame à la peau cuivrée qui se promenait sous la véranda. Elle avait une jolie robe, de belles chaussures et ses cheveux formaient deux longues tresses noires qui partaient de sa nuque et de ses tempes, descendaient de part et d'autre de son cou sur sa poitrine, jusqu'à sa ceinture. Elle parla gentiment avec m'man Tine et me sourit. Je m'attendais à être interrogé par elle, car, chemin faisant, m'man Tine m'avait enseigné que si elle me demandait : « Comment t'appelles-tu? » il fallait répondre : « José Hassam » ; si elle  me disait: « Quel âge as-tu? », .je répondrais: « Sept ans, Madame », et que chaque fois qu'elle me parlerait, il fallait dire: «Oui, Madame, non, Madame », très poliment. Mais il n'en fut rien.
       M'man Tine me recommanda d'être sage et partit. Je regardai pendant un long moment les enfants qui jouaient, puis la dame. La dame alla à un bout de la véranda, tira sur la chaîne d'une cloche, pareille à celle qui sonnait l'heure du déjeuner et de reprise du travail à Petit-Morne, et dont le son rassembla tous les enfants sous la véranda. » 

     

    (Texte proposé par Emeline)



    A suivre...



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  • Commentaires

    1
    nad
    Jeudi 10 Août 2017 à 16:23

    Bonjour, 

    Votre m'a repolongée dans ma tendre enfance, oh ça oui je me souviens de l'époque de cette purge avant la rentrée  : c'était pour nous la 3ème guerre mondiale ... Et je suis contente de constater que je ne suis pas folle .... oui la rentrée se faisait début octobre .... rendez-compte de tout ce que l'éducation Nationale nous a grignoté depuis...le jour de la rentrée j'adorais : nouvelle robe, nouveau sac à dos, nouvelles senteurs ...; que de bons souvenirs;

    Je recherche justement les livres scolaires de l'époque (année 70 et 80, quelqu'un pourrait il m'aiguillonner ...

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